| Un mémorable voyage sur les CFD du Vivarais. | posté le 21-12-2005 |
Avant –propos
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Les annotations de la rédaction sont en italique.
En voiture, fermez les portières, la machine à remonter le temps va partir…
J’avais passé deux mois en colonie de vacances au Chambon sur Lignon (photo ci-contre). La nouvelle d’Hiroshima et de Nagasaki (6 et 9 août 1945) nous avait beaucoup secoués. On parlait de possibles réactions en chaîne tout en dévorant de phénoménales quantités de myrtilles.
Mes parents sont venus me chercher pour aller visiter la famille à Lunel dans l’Hérault. Nous devions prendre le train en gare du Chambon, à 3h du matin, en vue d’arriver à Nîmes vers midi avec changement à Tournon. J’avais une passion pour cette ligne à voie métrique unique, parcourue par de petites locomotives (Mallet 030/030) qui traversaient les champs en crachant des masses d’escarbilles. Les paysans devaient taper à tour de bras sur les incendies naissants non sans proférer des insultes contres les pauvres machines dont le volumineux pare escarbilles était hors d’usage.
Je fus donc assez étonné, à trois heures du matin, de voir arriver cette automotrice (1) qui ressemblait très exactement à un autocar sauf qu’il allait sur rail.
Déjà quelque chose clochait : un train devait nous croiser en gare du Chambon. Après quelques conciliabules entre gens du métier notre conducteur nous lança sur la voie unique. Je n’étais que modérément rassuré et je surveillais l’obscurité seulement éclairée par les phares jaunes de l’automotrice. Soudain le conducteur et un autre passager poussèrent des cris à la vue d’un superbe lièvre qui prisonnier de la lumière des phares galopait devant nous. On regretta de n’avoir pas de fusil, puis le capucin fit un brusque mouvement à droite et se perdit dans l’obscurité.
Nous allâmes ainsi de station en station sans jamais voir ce train que nous devions croiser. Arrivés à St Agrève, (ou peut-être Lamastre) une gare avec de nombreuses voies, (après analyse nous pensons qu’il s’agit du Cheylard, St Agrève est à 20mn du Chambon et Lamastre est trop loin), le conducteur nous arrêta le long d’un quai éloigné des bâtiments, éteignit tous les feux : ‘ Pour ménager la batterie ’ nous dit-il, ‘ Sinon nous ne repartirions plus ’ et il ajouta ‘ Je vais aux nouvelles ’.
Un quart d’heure après il était de retour et nous expliqua que le train attendu était devant nous, en panne. Nous n’avions pas à nous inquiéter, on allait marcher ‘ à vue ’ jusqu’à sa rencontre, une autre automotrice venait nous chercher derrière l’obstacle.
Marcher ‘ à vue ’ dans cette nuit encore bien sombre me paraissait risqué. Nous roulâmes ainsi, aux aguets, jusqu’à voir des feux secoués dans la nuit. On s’arrêta, on parlementa : en fait le train, masse sombre dans le jour à peine naissant, avait pu réparer son avarie. Il ne suffisait plus que de reculer jusqu’à une voie d’évitement toute proche, le train nous croiserait et nous pourrions poursuivre notre route.
Hélas, notre pauvre conducteur malgré tous ses efforts et d’abominables bruits de pignons torturés n’a jamais pu passer la marche arrière. Alors puisque une autre automotrice nous attendait, nous n’avions qu’à saisir nos bagages et à marcher le long de ce train.
C’est alors que mon père devant et ma mère derrière nous nous sommes rendu compte que le convoi était stoppé sur un magnifique et vertigineux viaduc (2) enjambant un ravin dont le petit jour nous laissait à peine voir le fond.
Nous tordant les pieds sur le ballast, une mince main courante à gauche et les marches pieds des voitures voyageurs à droite nous avons franchi toute la longueur de ce train. Quelques têtes curieuses émergeant des compartiments obscurs nous regardaient passer sans rien dire.
Effectivement une seconde automotrice (un autre DeDion) nous attendait à l’arrière du train, le jour se levait tout allait bien, nous étions sauvés.
Voire, car l’automotrice était arrivée en marche avant et devait repartir en marche arrière et c’est donc son essieu rigide et non son bogie, qui attaquait les courbes plutôt nombreuses sur ce parcours accidenté. Impossible de dépasser les 20 km/h, le boudin montait à l’assaut du rail extérieur et la roue retombait dans un bruit saccadé très inquiétant (Rayon minimum des courbes 100m ! ). Plus vite c’était le déraillement assuré. Impossible de prendre de l’élan pour aborder les rampes. L’une d’elles, plus dure que les autres et précédée d’un virage, nous stoppa à mi-pente. Il fallut revenir en bas. Mon père et tous les hommes descendirent alors sur la voie et aidèrent le moteur en poussant jusqu’au sommet de la rampe, un spectacle ahurissant.
Enfin une gare apparut (Lamastre probablement) où notre conducteur pensait trouver une plaque tournante pour nous remettre dans le bon sens (3) ; mais il poussa un juron : une locomotive ‘ froide ’ se vautrait dessus.
Nous poursuivîmes notre route ou chaque courbe était ressentie comme la dernière. Enfin, une nouvelle gare apparut qui sembla favorable à notre conducteur. Il nous fit tous descendre, se saisit d’une manivelle qu’il engagea sur le coté de l’automotrice puis il se mit à tourner, tourner, tourner.
Je vis alors une sorte de plateau descendre lentement vers les rails et s’y encastrer. Mais mes yeux me sortirent véritablement de la tête quand je vis, l’homme tournant toujours sa manivelle, l’automotrice s’élever au dessus des rails. Quand le niveau fût jugé suffisant notre conducteur poussa et fit très facilement pivoter l’ensemble qui, enfin, se mit dans le bon sens.
Nous sommes repartis à des vitesses qui nous parurent délirantes (peut-être 60 km/h) (en réalité ces automotrices étaient limitées à 55 km/h) glissant dans les courbes sans bruit inquiétant, gravissant les rampes sans encombre.
Pourtant je n’étais pas au bout de mes émotions car en arrivant dans les parages de Tournon nous avons rencontré les voies ‘ normales ’ et filer à 60 km/h dans des forets d’aiguillages (4) composés de trois rails et non de deux cela donne facilement le vertige et alors que je me perdais en hypothèses sur le chemin que nous allions suivre notre vaillante machine trouvait sa voie sans aucune difficulté.
Nous sommes arrivés à Tournon à midi. Nous avions évidemment raté notre correspondance Il a fallu traverser le pont sur le Rhône à pied nos bagages à la main pour prendre à Tain l’Hermitage, après deux heures d’attente, le seul train qui nous restait encore pour rejoindre Lunel.
Un tel voyage à douze ans ça vous marque pour la vie.
Pierre Soulier
(1) Il s’agit d’une des sept automotrices DeDion type ND (120ch) réceptionnées en 1935 pour moderniser le réseau CFD Vivarais /Lozère. les 207, 204 et 202 sont actuellement préservées.
(2) Il y a 6 viaducs importants entre Le Cheylard et Lamastre.
(3) Vraisemblablement le conducteur n’était pas familiarisé avec le système de retournement installé sous le DeDion, ou bien il ne voulait pas aggraver le retard…
(4) Jusqu’au début des années 50 le tronc commun SNCF/CFD entre St Jean de Muzols et Tournon utilisait les deux voies SNCF. Il y avait forcément des croisements et des aiguillages en conséquence. Depuis le faisceau a été simplifié et sécurisé en supprimant le 3ème rail d’une des deux voies métrique.
Sur la photo ci-dessous (collection privée Pierre Malfay) prise aux Ets Grange à Valence carrossier des De Dion on notera le mot 'automotrice', ainsi que le n° de série NC 116 et la puissance du moteur 95ch. Ces indications nous informent qu’il s’agit de la future n° 302 des CFD des Charentes livrée le 14 03 1935.
Ce modèle était l’équivalent de la série Vivarais dont la seule différence provenait de la puissance du moteur.
Nous remercions pour leur amicale collaboration
Jean-Louis Rochaix pour les photos
Pierre Malfay pour la documentation et ses renseignements d’ordre technique et historique.
Et…le jeune Pierre Soulier, héros involontaire de cette petite histoire qu’il a bien gardé en mémoire.
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